Les Larmes Silencieuses des Ayatollah !

Les Larmes Silencieuses des Ayatollah !

Cette semaine se tiennent en Iran d’importantes élections dont l’objectif est de désigner les 290 membres du parlement ainsi que ceux de la très puissante Assemblée des Experts en charge notamment du choix du Guide Suprême en cas de décès ou d’incapacité de ce dernier. Voici pourquoi ces élections engendrent tant d’inquiétudes chez les dirigeants de la République Islamique.

 

Il va sans dire que la consultation populaire prévue le 26 février ne peut être considérée libre et démocratique, ni qualifiée véritablement d’élection !

Le régime a préalablement disqualifié, sous des prétextes religieux ou de déloyauté, 60% environ des candidats, laissant au peuple le « choix » final entre 3 000 loyalistes conservateurs et 70 modérés. La loyauté de ces deux groupes a été scrupuleusement contrôlée par le très puissant Conseil des Gardiens de la Révolution directement rattaché au Guide Suprême. Pourtant, malgré toutes ces précautions, ce choix restreint concédé à la population semble encore profondément angoisser l’élite dirigeante.

 

Une Histoire tumultueuse de participation populaire

Etranges sentiments que ceux ressentis en parcourant les médias qui couvrent l’actualité iranienne. C’est comme écouter de la poésie ou de la musique perse, triste et tragique, pourtant remède millénaire des iraniens contre l’oppression.

S’il est vrai que la souveraineté populaire a constamment été chahutée dans l’Histoire de l’Iran, plusieurs avancées majeures ont fait date. 1906, le pays a déjà recours au suffrage universel. 1963, le droit de vote est accordé aux femmes, soit 8 ans avant la Suisse et seulement 19 ans après la France ! 110 ans plus tard, le chemin vers la liberté et la démocratie semble encore illusoire, d’autant plus que 1979 et sa révolution Islamique marquèrent un coup d’arrêt brutal à cette lente évolution. En effet la nouvelle idéologie dominante se réclamant de la légitimité transcendantale a brutalement sapé les fondements de délibération rationnelle de la politique bien au-delà de ce que le régime monarchique précédent avait fait.

Malgré tout, l’une des conséquences de l’agenda politique au style Marxiste du gouvernement révolutionnaire dénonçant pouvoirs et privilèges, a été la promotion d’une certaine idée de participation politique et de mobilité sociale impliquant notamment des élections nationales régulières. Quoi qu’il en soit, les revendications grandissantes du peuple à vouloir disposer de lui-même se sont vites heurtées à certains principes de la prétendue souveraineté divine.

 

Des larmes silencieuses

Toutes ces convictions idéologiques ce sont traduites sous la forme d’un complexio oppositorum constitutionnel dont les nombreuses implications politiques ne cessent de hanter les dirigeants de la République Islamique. Les effets d’un tel chao institutionnel se ressentent d’ailleurs à tous les niveaux de l’Etat et de la Société, jusqu’au sommet. Le conflit ouvert entre le Bureau du Guide et celui du Président en est sans doute l’exemple le plus emblématique. Ce conflit a atteint un tel point que Khamenei, le Président d’alors de la République Islamique, doté d’un certain mandat populaire, avait publiquement déclaré qu’il avait pour habitude, en raison de ses conflits institutionnels avec l’ancien Guide Suprême l’Ayatollah Khomeini, d’aller sur le toit “pour pleurer en silence”. Pourtant, une fois Khameini à la tête du bureau du Guide Suprême, les mêmes scenarii se sont répétés entre lui et Rafsanjani, puis avec Khatami et même avec le conservateur Ahmadinejad qu’il avait cependant soutenu suite aux émeutes lors des élections présidentielles de 2009.

 

Une théocratie élective

De tels conflits existentiels, entre sources rationnelles de contingence politique d’un côté et sources immuables transcendantales de normativité de l’autre, ont été au cœur de plusieurs épisodes de fraudes et de manipulations électorales commises par la classe religieuse dominante dès les premiers jours d’existence de la République Islamique. Un exemple. En 1980, après la chute de la Monarchie Pahlavi et dans le but de légitimer la mise en place du régime, le peuple a été sollicité pour choisir simplement entre : « République Islamique : Oui ou Non » sans qu’aucune précision sur le type ou la mission de ladite République Islamique ne soit apportée. Sans surprise, une écrasante majorité a voté “oui”, d’autant plus qu’il n’y avait aucune autre alternative sur la table.

Le clergé a alors commodément interprété ce consentement massif à la mise en place d’un Léviathan religieux comme une carte blanche que le peuple lui aurait confiée, lui permettant de monopoliser le pouvoir et d’étendre sa domination totale à l’ensemble des ressources économiques, sociales, et politiques de la société.

 

Une menace existentielle

Par la suite, Il n’est pas difficile d’imaginer alors que toutes les formes de consultation populaire en Iran ont toujours eu le potentiel d’incarner un danger extrême pour les autorités non élues de l’Etat.

Malgré le déploiement de l’arsenal classique des systèmes totalitaires pour réduire la dissidence au silence, notamment la création du tout puissant Conseil des Gardiens de la Révolution, le combat semble encore loin d’être gagné pour le Régime. Les révoltes sociales qui ont suivi les élections présidentielles de 2009 en témoignent. Et cette fois-ci, la société civile iranienne semble être plus mature encore, pleine de ressources et armée de technologies imparables.

A nouveau, une élection iranienne semble porteuse de surprises bien amères pour l’élite au pouvoir qui, aujourd’hui, n’a pas pu cacher ses extrêmes inquiétudes concernant de probables résultats désastreux.

 

Car contrairement aux années précédentes, même les élections de l’Assemblée des Experts ont été soumises à un large débat public et leur régularité largement examinée. Alors peut-être que cette fois-ci, même le Gardien le plus aguerri et vigilant de la prétendue souveraineté divine ne saura retenir de sincères larmes face à la perspective du droit d’un peuple à décider de son destin.

 

Respublica Publié le 11-02-2016